Le lendemain

Je voudrais bien bouger. Je voudrais avoir un dessein formidable. Mais je peux pas. J'y arrive pas. Je suis sur le balcon. Je regarde le gazon pousser. Je laisse les oiseaux m'enchanter. Je sais pas où ils sont les oiseaux, d'ailleurs. C'est peut-être qu'ils sont discrets, ou trop petits, ou à cause des feuilles, ou alors c'est les feuilles qui se parlent. Puis je m'en fous. J'attends. J'attends que ça vienne. Comme le chien, le nez dans la pelouse, qui ferme les yeux. Il est heureux. Et puis, forcément, ça vient. Y a une voiture qui passe. Y a des gens en pénitence au tennis juste à côté. Ça se loge là, entre mes côtes, peut-être dans l'estomac. Je cherche mon paquet, je cherche mon briquet, j'allume. On peut jamais être seul. Y a toujours un avion dans le ciel (si tu le vois pas il est planqué derrière un nuage), y a toujours quelqu'un qui ratiboise le gazon. Et ça gonfle, ça me remplit l'estomac, ça me presse les poumons. Je peux même plus avaler la fumée. Le chien lève le nez. J'avais cru que j'étais heureux, je sautais à pieds joints, je faisais des grands gestes avec les bras, je dodelinais de la tête. Tout ça c'était rien. Maintenant ça prend de l'ampleur, un va et vient, comme un troisième rythme dans mon corps. On dirait un pulsar. Ça fait mal, mais mal comme une jouissance sans le plaisir, juste la souffrance.

C'était rien tout ça, et je reconnais mon ancien paysage ; y a mes élans vers un grand nulle part, y a mes doutes si solides, y a mes certitudes si précaires. Ça va m'envahir. Je ferme les yeux, je fais une grimace et je me rappelle hier.

Hier, on se baladait côte à côte dans Paris qu'était tout beau pour une fois, qu'avait mis son soleil, qu'avait distribué des sourires à tout le monde, Paris qu'était en fête comme dit la chanson. On repère un café pas trop grand, pas trop petit. En plus y avait presque personne. Come il fait soleil, on se met à l'ombre. Tu étais posée en face de moi, tu étais belle comme une guitare avec tes cheveux partout. Tu lèves ta frimousse et j'y plante mon regard. Tes jolis yeux étaient si plein d'amour que je savais que tu allais me dire au-revoir (les filles ells sont jamais si belles que quand elles vous disent qu'elles vous quittent). Là mes yeux se brouillent un peu et ça bourdonne dans mes oreilles, si bien que j'ai du mal à comprendre ce que tu me racontes. J'entendais rien que des fausses notes. Puis “Adieu” et j'ai senti le poids de ta main sur la mienne. J'ai vite retiré la mienne, alors tu es partie.

Il fait noir tout à coup. J'ai la bouche pâteuse, la tête lourde. Je me suis endormi.

Last updated on Fri Oct 31 15:47:44 2008
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